Le but de ce chapitre est principalement de donner une définition à certains termes utilisés tout au long de lexposé, ainsi que dapporter des justifications théoriques à lutilisation des notions sous-jacentes aux termes en question.
Ces justifications théoriques sont à considérer avec une extrême prudence.
En effet, la plupart des raisonnements exposés sont facilement récusables, et sappuient sur des notions relativement mal définies quoi de moins étonnant dans la mesure où lon cherche ici à " objectiver la subjectivité ".
Il nest donc pas utile de chercher dans ce chapitre de vérités
solides au sens scientifique. Par contre, on pourra y trouver différents
points de vue dun ensemble de notions non seulement cohérentes,
mais encore très utiles aux problèmes abordés lors des
chapitres suivants.
Point de vue défendu par le mathématicien Benoit Mandelbrot, au cours dun séminaire " musique et mathématique ", Lyon 1996 résumé :
Question : pourquoi trouve-t-on généralement la cathédrale de Notre Dame de Paris intéressante à regarder, alors quon ne peut pas en dire autant dun immeuble typique des années 70 ?
Réponse : parce que, dans le premier cas, il est possible
de trouver beaucoup dinformation quelque soit léchelle dobservation,
et pas dans le second.
Il est vrai que si lon regarde la cathédrale ND à 100m de distance, on va voir lentrée, les tours, la rosace à 10m, on peut observer des gargouilles, larchitecture générale de la rosace, les sculptures de chaque côté de la porte à 1m, on voit à quoi ressemblent les gargouilles, le détail de la rosace, la forme de la robe dun personnage présent parmi les sculptures quil y a de chaque côté de la porte
On peut aussi noter que quelque soit la distance, ce quon voit nest pas immédiatement compréhensible, schématisable, du fait de lirrégularité des formes. Donc : on peut observer des formes non schématisables immédiatement, et ce à toutes les échelles dobservation, les formes étant propres à chaque échelle dobservation.
On regarde maintenant notre immeuble des années 70. A 100m de distance, on voit un parallélépipède rectangle, nanti de plusieurs rangées de fenêtres régulièrement disposées . à 10m, on saperçoit que ces fenêtres sont finalement séparées en deux au milieu, ce qui est une information très pauvre . à 1m, on na aucune information nouvelle concernant les fenêtres en question .
Donc : on observe des formes schématisables immédiatement, qui varient peu suivant léchelle dobservation.
Une opposition radicale :
* Lhomme a " inventé " le carré, le cercle, la droite, ce quon appelle la régularité ces formes lui paraissent naturelles. Il suffit de regarder la forme de la feuille sur laquelle est écrit ce texte, ou de regarder par la fenêtre elle même tendant à être rectangulaire pour sen rendre compte.
* La " nature " a " inventé " lirrégularité, et ces formes " lui " paraissent naturelles. Par contre, pas du tout évidentes pour notre esprit : il est impossible pour un être humain normalement constitué de mémoriser la forme dun arbre, pas plus que la texture à la surface dun océan, ou que la forme dune montagne. Et, si lon en croit ce qui est dit dans le paragraphe précédent, quand on crée des objets basés géométriquement sur des formes régulières " inventées " par lhomme, ces objets ne sont pas intéressant dun point de vue perceptif.
On peut donc, en suivant ce raisonnement, affirmer que :
Il est alors possible de se poser la question suivante : pour créer des objets perceptivement intéressants, sur quel type de forme doit-on se baser ? Le premier paragraphe comporte des éléments de réponse à cette question. Essayons de trouver dautres éléments.
Dans les perspectives évoquées lors des deux premiers paragraphes, considérons maintenant quelques objets géométriques.
Un carré, un cube, un cercle : des informations à une seule échelle de perception - à cette échelle, régularité, ou pauvreté suivant linterprétation adéquation à lesprit inadéquation à la perception.
Une portion de plan ou despace remplie par un nombre fini de points disposés aléatoirement suivant une loi de probabilité uniforme : des informations irrégulières à plusieurs échelles de perception, mais inadéquation à la perception.
Nous voici alors face à une contradiction
apparente : un objet irrégulier à plusieurs échelles
de perception, mais peu intéressant à regarder.
Il
est donc nécessaire de compléter le point de vue abordé
au premier paragraphe par une nouvelle notion : celle dordre/désordre
apparent à une échelle donnée.
Dans le cas présent la portion de plan remplie par un nombre fini de points disposés aléatoirement suivant une loi de probabilité uniforme - les informations certes irrégulières que lon peut trouver à plusieurs échelles dobservation ne sont pas perceptivement intéressantes, car pas assez ordonnées.
Il y aurait plusieurs moyens formels pour quantifier cette notion d ordre/désordre, mais ce nest pas là notre propos, qui, rappelons-le, est dévoquer dun point de vue qualitatif différentes notions se rapportant à la perception en général.
Il serait donc nécessaire, pour quun objet soit adapté à la perception, quil comporte, au moins à une échelle dobservation, des formes ni trop désordonnées, ni trop ordonnées. Ce qui pourrait se reformuler ainsi : des formes non immédiatement compréhensibles, mais compréhensibles tout de même au bout dun certain temps.
** Considérons alors trois objets, que
lon regarde dune seule et même perspective, dune
même distance.
Le carré est perceptivement inadapté :
trop ordonné, immédiatement compréhensible
Larbre est perceptivement adapté : compréhensible
au bout dun certain temps
La forme uniformément
aléatoire est perceptivement inadaptée : une forme incompréhensible,
que lon peut très difficilement décrire.
( rappelons que lon se limite à une seule échelle dobservation )
** Trois autres objets, que lon observe pour ses propriétés à léchelle dun laps de temps donné :
Tout le problème est donc de trouver des objets " centraux " au sens de cette perspective ordre / désordre à une échelle donnée.
Rappelons la question posée au paragraphe 2., qui est une autre formulation
de ce problème, dun point de vue différent : pour être
perceptivement intéressant, sur quel type de formes doit-on se baser ?
Ces termes, empruntés à Michel Chion, sont une formulation différente
dune notion immédiatement dérivée de la notion dordre/désordre
à une échelle donnée. Une forme forte est, à une
échelle donnée, une forme reconnaissable, identifiable.
Un carré est une forme très forte. Une répartition aléatoire uniforme, est, de loin, une forme très faible.
La différence essentielle entre forme forte/faible et ordre/désordre est que la seconde notion est quantifiable et généralement définie par des principes mathématiques. La notion de forme forte/faible, au contraire, est une notion purement perceptive, et, pour cette raison, tout à fait adaptée à notre propos.
Cest pourquoi, dans la suite de lexposé, on utilisera ce vocabulaire de forme forte/faible en lieu et place de celui dordre/désordre.
On a donc cherché à définir quelques notions qualitatives qui pourraient constituer un cadre propice à lévaluation de ladaptation à la perception dobjets quelconques. Ces quelques notions peuvent être représentées sur un graphe à deux dimensions :
Voici comment on pourrait placer, sur un tel graphe, un carré :
Un arbre :
Une répartition aléatoire uniforme de points occupant une surface rectangulaire :
Sur ces graphes, pour des raisons pratiques évidentes, on na représenté quun nombre arbitraire de perspectives dobservation. Il convient cependant de préciser que la répartition des perspectives dobservation est forcément une notion arbitraire, à part dans certains cas très particuliers. Cependant, il est souvent possible dobserver un ordre de grandeur pour lequel la densité dinformations est particulièrement grande, ou particulièrement significative.
On voit donc que la notion dadaptation dune forme à la perception, ou " adaptation perceptive ", est une notion qui, si elle nest pas quantifiable, peut être rapporté à un ensemble de notions qualitatives compréhensibles et cohérentes.
Cest cet ensemble de notions que lon va très souvent utiliser dans la suite de lexposé, chaque fois que lon aura, entre autres, à enrichir perceptivement un son, ou à juger des qualités potentielles du comportement fonction du temps dun système dynamique.