Iannis Xenakis : Nomos Alpha (1965)

Analyse et Reconstitution de Moreno Andreatta

 

Présentation

Sur la partition de Nomos Alpha, Xenakis indique :

"Musique symbolique pour violoncelle seul, possède une architecture hors-temps fondée sur la théorie des groupes de transformations. Il y est fait usage de la théorie des cribles, théorie qui annexe les congruences modulo z et qui est issue d'une axiomatique de la structure universelle de la musique"

Dans l'analyse, nous développerons l'aspect théorie des groupes de transformations et théorie des cribles.

Les cribles comme généralisation des gammes et des rythmes

Les cribles peuvent généraliser plusieurs notions qui semblent indépendentes :

a) Gammes traditionnelles ("La voie de la recherche et de la question", Preuves, 1965).
Sur une échelle de notes modulo 12, une gamme majeure peut-être assimilée au crible (0 2 4 5 7 9 11) et une gamme mineure au crible (0 2 3 5 7 8 11)

b) Modes à transpositions limitées. "I prepared a new interpretation of Messiaen's modes of limited transpositions which was to have been published in a collection in 1966, but which has not yet appeared" (FM, note au chapitre VIII Towards a Philosophy of Music, p. 377).

c) Gammes micro-intervalliques : ex. quart de ton et sixième de ton (MA, p. 65)

d) Gammes non-octaviantes (MA, p. 66)

e) Cribles comme généralisation des rythmes (FM, ch. XI Sieves).

Cribles pour la génération de modes à transpositions limitées

Iannis Xenakis avait remarqué qu'il était possible de retrouver les modes à transpositions limitées de Messiaen en partant de cribles symétriques, et en utilisant les opérations ensemblistes d'union, d'intersection et de complémentaire.

La notation utilisée pour représenter des cribles symétriques est la suivante :
4-0, correspond à un crible de période 4 commençant sur 0. Comme on travaille sur le cycle des 12 notes, celà correspond à (0 4 8).
3-1 correspond au crible de période 3 commençant par 1, ce qui donne (1 4 7 10).

La figure ci-dessus nous montre le cheminement qui permet, en partant des cribles 3-0, 4-1, 4-3, 3-1, 4-0 et 4-2, de reconstituer le mode 6 représenté en bas à droite. Les modes utilisés sont tous symétriques, comme les modes 3-0 et 4-0 représentés.

La méthode de Xenakis n'est pas unique, il existe plusieurs manières différentes, en utilisant des cribles symétriques et des opérations ensemblistes de générer le même mode à transpositions limitées. C'est ce que fait remarquer André Riotte dans A. Riotte dans "Formalisation des structures musicales" :


Utilisation des cribles pour générer le réservoir de notes de Nomos Alpha

Xenakis a choisi de limiter son espace à 143 microintervalles, parmis lesquels ils va sélectionner, à l'aide d'un crible, les notes à utiliser. Pour générer un crible modulo 143, Xenakis utilise des cribles de taille 11 et 13 (11*13=143). Il effectue plusieurs opérations qui le conduise au résultat suivant :

Ce crible lui permet de générer un réservoir de notes dont voici un extrait :

Xenakis va donc, par la suite, tenter de n'utiliser que les notes issues de son crible dans sa composition. Il se trouve en réalité, qu'il s'est permis certains écarts.

Utilisation des groupes de transformations

Xénakis a choisi d'utiliser dans son oeuvre, 8 complex sonores, par exemple une note isolée, des glissandi parallèles, etc. Nous les noterons S1 à S8. Dans l'oeuvre, chaque occurence d'un complex sonore sera affectée d'une densité de note, d'une durée et d'une intensité particulière. Ainsi, la composition de Nomos Alpha relève de 2 processus indépendants : choix du complex sonore, et le choix de densité, durée, intensité.

Pour modéliser le processus de choix des complex sonores, Xenakis a utilisé le groupes des transformations du cube. Il a préalablement choisi de placer les 8 complex sonores sur les 8 sommet d'un cube de la manière suivante :

Ceci permet d'établir une correspondance entre une position du cube et une séquence de 8 complex sonores. La position initiale correspond à (1 2 3 4 5 6 7 8).

Groupe de transformation du cube

La théorie des groupes nous montre qu'il existe 24 transformations du cube sur lui-même. Il s'agit de toutes les rotations : 90°, 180° sur divers axes. Ces transformations forment un groupe, c'est à dire que chaque combinaison de 2 transformations est équivalente à une des 24 transformations. Voici la tables des transformations :

A correspond à la rotation de 180° selon l'axe vertical (face bleu), B correspond à la rotation de 180° autour d'un axe horizontal (face jaune) etc ...

Notons R1 et R2 deux rotations. Nous savons que R3 tel que R1.R2=R3 est une rotation. En utilisant la suite de fibonacci : Rn-2 . Rn-1 = Rn, nous pouvons définir une suite de transformations du cube ne dépendant que des deux premières rotations. Deplus, il est important de noter que ces suites forment un cycle. Ainsi, Xenakis choisi comme transformations initiales D et Q12, ce qui engendre un cycle de 18 éléments.

Pour récapituler, le cycle de 18 transformations du cubes, appliquée les unes après les autres nous donnent 18 positions successives du cube. Nous appelerons X1 à X18 ces positions. Pour chaque positions, Xenakis fait correspondre une suite de 8 complex sonores. En plus de celà, Xenakis a choisi d'appliquer un paramètre supplémentaire qu'il appelera le mode a, b ou c. A chaque mode correspond une permutation qui permet de lire une position du cube différement. Le mode a lira (6 2 3 4 5 1 7 8) au lieu de (1 2 3 4 5 6 7 8), b et c auront une lecture encore différente. Remarquons que ces permutations laissent des éléments invariants.

Forme de l'oeuvre

Xenakis choisit pour son oeuvre, la forme suivante :

Mode   Séquence dans l'oeuvre
b   X1 X2 X3 Intermezzo
c   X4 X5 X6 Intermezzo
a   X7 X8 X9 Intermezzo
b   X10 X11 X12 Intermezzo
c   X13 X14 X15 Intermezzo
a   X16 X17 X18 Intermezzo

On y retrouve les 18 séquences de 8 complex sonores correspondant aux positions successives du cube, modulées par les modes a, b, c, entrecoupé par des intermezzi non formalisés.

Réalisation

Le choix de la procédure, ainsi que des deux premières rotations et des trois modes déterminent complètement le processus de choix des symboles, et nous pouvons remarquer qu'il correspond exactement avec la réalisation. Xenakis construit de la même manière son processus de choix des densité intensité durée selon un cycle de rotations du cube. Cependant la réalisation amène quelques contraintes : est-il possible de créer un complex sonore dense et long avec une seule note ? Cette impossibilité impose des modifications. M.Solomos a étudié plus particulièrement les écarts entre le résultat du processus formel et la réalisation de I.Xenakis dans sa thèse : "A Propos des premières oeuvres de I.Xenakis. Pour une approche historique de l'émergence du phénomène du son".

Méthodes algébriques en musique et musicologie

"Nous comprenons la place de choix qui revient à la théorie des ensembles, non seulement pour la construction d'uvres nouvelles, mais aussi pour l'analyse et la meilleure compréhension des uvres du passé. Ainsi même une construction stochastique ou une investigation de l'histoire à l'aide de la stochastique ne peuvent être exploitées sans l'aide de la reine des sciences et même des arts, dirais-je, qu'est la logique ou sa forme mathématique l'algèbre"

Iannis Xenakis, Revue d'esthétique, XIV, 3-4, 1961.

Références

F.Vandenbogaerde, "Analyse de Nomos Alpha", Mathématiques et Sciences n°24, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1968, p.35-50
Th. Delio, "I.Xenakis: Nomos Alpha", Journal of Music Theory vol.24 n°1, 1980, P.63-96
M.Solomos, "A propos des premières oeuvres de I.Xenakis. Pour une approche historique de l'émergence du phénomène du son", thèse de doctorat, Paris, Université de Paris 4, 1993, p.407-510
J.Vriend, "Nomos Alpha, Analysis and Comments", Interface n°10, 1981, p.15-82
I.Xenakis, "Vers une philosophie de la musique" 1966.
I.Xenakis, "Formalized Music", Pendragon Press, 1990