Conclusions et travaux futurs.
Dans un premier temps, la CAO a relativisé la fausse complexité de techniques qui étaient simplement compliquées. Lorsqu'un ordinateur peut calculer très rapidement toutes les variantes combinatoires issues d'un formalisme donné, par exemple le formalisme sériel, la valeur musicologique ne plus venir simplement de ce principe formel, mais de son adéquation réelle à la perception. Corrélativement, l'ordinateur permet d'explorer des champs expérimentaux d'une complexité réelle et qui étaient inaccessibles auparavant, comme par exemple le champ du timbre dans sa représentation spectrale. Dans un deuxième temps, la CAO a favorisé la démarche expérimentale qui permet de soumettre un très grand nombre d'instances musicales issues d'un formalisme au test de la musicalité. Plus encore, elle autorise l'expérimentation sur les formalismes eux même qui peuvent être testés et en retour modifiés ou abandonnés s'ils ne remplissent pas leurs promesses. Aux notions d'unicité de l'Ïuvre et de son créateur, elle tend à substituer l'idée du modèle d'Ïuvre et de la coopération entre créateurs et scientifiques. C'est peut être là que réside son aspect vraiment révolutionnaire, et donc le plus polémique. Enfin, la CAO renouvelle complètement l'idée de notation qui devient dynamique, incluant les mécanismes génétiques de l'Ïuvre. La partition, dont nous avons dit qu'elle devient partition potentielle, constitue d'une certaine manière sa propre analyse, ce qui est déjà le germe d'un bouleversement des habitudes musicologiques.
Nous avons essayé avec OpenMusic de construire un langage qui encapsule de manière consubstantielle la notion de notation, à savoir notation du résultat (une partition musicale) mais aussi notation du processus aboutissant à ce résultat (programme visuel). Nous avons essayé avec OpenMusic de rendre la plus continue possible la transition entre les divers niveaux de schématique structurelle intervenant dans la conception musicale. OpenMusic prend la suite, dans notre travail, de PatchWork, un environnement qui utilisait déjà la notion de programmation visuelle.
Pour les différents modèles de programmation qu'on voulait réunir dans OpenMusic, une grande partie du travail reste à réaliser notamment celui sur la programmation par contraintes. Bien que nous ayons déjà intégré Situation (voir annexe I) à OpenMusic, en permettant ainsi une combinaison satisfaisante entre le modèle fonctionnel et le modèle des CSP, la liaison entre contraintes et objets reste à faire. Nous voudrions introduire des contraintes dans la définition d'une classe et d'en définir entre les instances de n'importe quel type de classe. En résumé, nous voudrions intégrer de façon plus fine la notion de contrainte dans notre langage. Nous avons commencé à développer ce projet, en se basant sur les travaux réalisés par F. Pachet et P. Roy, ainsi que sur les recherches faites par le groupe AVISPA.
Le modèle fonctionnel proposé par PatchWork a été assez bien accepté par la communauté des compositeurs. Avec l'introduction du modèle par objets, une période d'utilisation d'OpenMusic est nécessaire pour évaluer l'impact de ces nouvelles notions.
Le caractère visuel d'OpenMusic a d'autres buts que la seule nécessité d'un langage pour les non-informaticiens, en effet le principal de notre travail durant ces dernières années s'est porté sur la notion de notation. Nous espérons avec cette thèse avoir pu introduire une nouvelle spécificité des outils informatiques en CAO : l'aspect temporel.
L'originalité de la maquette repose sur la mise en relation dans un même objet des deux aspects : la notation et le temps. L'aspect temporel appliqué au domaine musical représente le projet principal pour les années à venir. Pourtant, pour qu'un travail rigoureux soit élaboré, il est nécessaire de tenir compte du caractère pluridisciplinaire des discours temporels de notre époque. On peut distinguer deux grandes approches par rapport à cette diversité de temps :
- La tendance d'unification. Ce vieux rêve proclame que l'entendement du temps sera validé par un point de vue qui unifie notre expérience quotidienne (en rapport avec nous mêmes et notre univers) avec les théories académiques sur la nature humaine. Ce courant ne manque pas d'adeptes, les travaux de Ilya Prigonine sur l'association entre l'irréversibilité dans la théorie de la thermodynamique et la flèche du temps, semblent réduire les barrières entre temps physique, psychologique et épistémologique.
- La pluralisation du temps. Les arguments unificateurs ne sont pas très convaincants pour certains penseurs de notre époque dont Paul Ricoeur est l'un des représentants. En effet il proclame l'impossibilité de réunir le temps physique à un temps dit historique. L'énoncé est clair, le temps se répartit en une multitude de concepts incompatibles et hétérogènes.
Nous croyons qu'il est important d'étudier les divers aspects de la notion de temps musical en prenant en compte les discours d'autres disciplines. La raison en est simple : si nous penchons pour l'optique unificatrice, il serait indispensable de profiter des travaux réalisés dans diverses disciplines (citons par exemple la psychologie) afin d'élucider les mystères cachés dans la musique. Si nous favorisons l'optique d'irréconciliable divergence, il est clair que la nomination du temps dans n'importe quel domaine implique d'une manière ou d'une autre une relation étroite, soit par similitude soit par négation, entre les différentes notions. Dans le cas de la musique vue comme un art qui essaie de nier le temps physique et d'imposer ses propres relations logiques entre les événements, il serait intéressant de savoir ce qu'elle souhaite nier. Nous n'affirmons pas, toutefois qu'une éventuelle coïncidence entre les termes propres du lexique des diverses disciplines impliquerait une convergence, du moins partielle entre les différentes notions, mais nous ne pourrions pas non plus affirmer le contraire. Ce que nous voulons tout simplement est mettre en relief l'existence de ces points de rencontre.