Propositions pour les prochaines séances de l'école de mathématiques pour musiciens et autres non-musiciens
0) Merci tout d'abord à tous ceux qui ont pris soin de nous transmettre leur avis sur la première séance. Ceci nous aide, et nous encourage.
1) Il ressort des points de vue exprimés que tout le monde, même ceux qui ont peiné lors de la première séance, souhaite une prolongation de l'expérience. C'est également notre souhait.
2) Il faut repréciser que "école" ici ne veut pas dire "cours" (et donc progression graduée selon un parcours univoque en marches d'escalier). Il faut entendre ce projet ("d'un type nouveau") comme visant une compréhension plutôt qu'une maîtrise de savoirs.
3) Pour ceux qui n'ont pas l'habitude d'entendre un exposé de mathématique contemporaine, cette compréhension passe nécessairement par une phase de "choc", un peu comme un tel type de "choc" intervient pour toute personne venant pour la première fois entendre un concert de musique contemporaine. Il n'y a pas lieu de vouloir éviter un tel choc mais seulement d'apprendre à le surmonter.
4) À ce titre, une certaine dimension rétroactive (relevant donc de l'après coup) nous semble de mise en matière de compréhension.
À cette fin, il semble nécessaire d'instaurer plus de résonances entre les différents sujets devant être traités lors des prochaines séances en sorte que, petit à petit, les concepts mathématiques puissent s'éclairer les uns les autres, non plus de manière déductive - dans l'ordre linéaire de leur exposition - mais rétrospectivement, et selon un schéma concentrique.
5) Nous proposons de reconfigurer les prochains thèmes en sorte de mettre en rapport différentes approches mathématiques contemporaines de la notion d'espace. En effet, si la notion mathématique d'espace n'a pas été définie la fois dernière, c'est pour une raison essentielle et non pas contingente: c'est parce qu'il n'existe pas à proprement parler de définition mathématique de l'espace en soi (pas plus d'ailleurs qu'il n'en existe de la symétrie en soi, ou de la singularité en soi). À ce titre, la mathématique associe toujours au mot "espace" une spécification ("espace topologique", "espace mesuré", "espace vectoriel", etc.), laissant à l'intuition de chacun le soin de donner un sens spécifique au mot "espace" détaché de ses prédicats.
6) Si le propos de l'école est bien de rendre compréhensibles certains concepts mathématiques contemporains et centraux, ceux-ci seront choisis (du moins dans un premier temps) sur le critère qu'ils condensent des points de vue mathématiques sur des notions communes - i. e. n'appartenant pas en propre à la mathématique - telles qu'espace, symétries, temps, singularités, etc... Chacun pourra alors confronter, s'il lui plaît, ces points de vue mathématiques aux points de vue qui lui sont plus familiers - musicaux, architecturaux, picturaux, ou philosophiques - sur ces notions communes.
En ce qui concerne l'espace, il est loisible de penser que les deux points de vue mathématiques les plus avancés et les plus profonds sont celui de la géométrie non-commutative (A. Connes) et celui des topos (A. Grothendieck) - d'ailleurs complémentaires l'un de l'autre.
Comprendre mieux les enjeux des espaces non-commutatifs, la disparition des points et le rôle structural des algèbres d'opérateurs (exposé précédent) pourra mieux se réaliser rétroactivement si les prochaines séances de l'école traitent d'autres visions de l'espace. Nous proposons à ce titre que la prochaine séance soit consacrée à l'examen des topos de Grothendieck.
7) Nous maintenons le principe d'absence de tout prérequis, mais ceci ne veut pas dire qu'il faudrait négliger le rôle de la culture mathématique de chacun.
Si la culture est bien ce qui vous reste quand vous avez tout oublié, la culture mathématique mobilisée pour écouter et suivre un tel type d'exposé indique alors votre capacité d'intuitionner et de représenter ce qui vous est présenté, votre aptitude à supporter de perdre pied en faisant confiance à votre capacité de renouer un peu plus loin au fil du discours.
Là encore, l'analogie avec l'écoute de la musique est pertinente : écouter une uvre n'est pas la disséquer, suivre note à note et accord par accord son travail déductif mais apprendre à se laisser guider par l'uvre elle-même (et apprendre, cela implique toujours, en un premier temps, un travail soustractif : se désencombrer d'habitudes inadaptées).
8) Nous sommes des pionniers au sens aussi où nous devons apprendre à donner à la notion de malentendu un statut productif, et pas seulement négatif.
Si la présentation mathématique ordinaire vise à la levée de tout malentendu (par un dispositif réglé d'écriture univoque rendant intégralement transmissible le contenu de pensée), cette école ne saurait fonctionner sous cet ordre (qui est tout aussi bien celui du "cours" de mathématiques mentionné plus haut). Tentant de présenter des enjeux de pensée les plus actuels à des gens étrangers à la mathématique active, cette école doit miser sur la productivité et la dynamique d'un certain type de malentendu.
À ce titre, qu'un concept mathématique présenté prête ici à une part de malentendu ne doit pas être vu comme une faiblesse (ce que cela serait dans un simple cours) mais plutôt comme un pari : le pari qu'une forme de résonance peut être mise en uvre entre jeu mathématique des concepts et représentation mentale chez celui qui le découvre.
Bien sûr, ce pari comporte également sa part de danger : celui que le malentendu (afférant au fait que ce qui est présenté n'est pas maîtrisé par qui écoute) débouche sur une mécompréhension ou un contre-sens. Mais il nous semble que le génie propre de cette école implique de prendre ce risque pour en faire jouer la face positive et dynamiser l'écoute spécifique de chacun - là encore, écouter un tel type d'exposé est assez proche de l'écoute musicalement requise face à une uvre contemporaine -.
9) Rendez-vous donc le samedi 24 mars 2007 pour une nouvelle séance (consacrée aux topos de Grothendieck) au début de laquelle Yves André reformulera les principes de notre projet.
Yves André et François Nicolas
P.S. "Si les gens ne croient pas que les mathématiques sont simples, cest uniquement parce quils ne réalisent pas à quel point la vie est compliquée." John von Neumann