Ce projet vise à étudier les champs dapplications possibles de la géométrie de linteraction de Jean-Yves Girard à linformatique musicale. À la différence des paradigmes de programmation traditionnels en informatique musicale (programmation logique et fonctionnelle, calcul concurrent, ), dont la composante logico/informatique prime sur les enjeux proprement mathématiques, la géométrie de linteraction postule une primauté des constructions mathématiques (théorie des opérateurs et algèbres de von Neumann) sur la logique. Ceci pourrait avoir des conséquences importantes dans une discipline, la musique, dont on a désormais abondamment étudiés les enjeux mathématiques sans pourtant arriver à proposer des outils théoriques nouveaux pour étudier ses rapports profonds avec la logique.
Exposé scientifique du projet:
Une dizaine dannée après le Forum Diderot 1999 " Mathématiques & Musique " [1], un événement qui a donné une impulsion majeure au domaine des relations entre musique et mathématique, force est de constater que les questions autour desquelles les organisateurs de la partie parisienne avaient centré le débat restent dactualité, à savoir :
- Quel est le rapport entre les logiques mathématiques et les logiques musicales ?
- Les formalismes bâtis sur le " raisonnement " musical a-t-il quelque chose à voir avec tel ou tel formalisme de la logique ?
- La logique mathématisée peut elle aider les musiciens à clarifier la spécificité de leur mode de raisonnement ?
Ce projet cherche à reprendre ces questions en explorant une nouvelle hypothèse en ce qui concerne la relation entre logique et musique, à savoir celle dun lien étroit entre constructions mathématiques, dimension logique et calcul informatique. Parmi les entreprises majeures qui ont accompagné la mathématisation de la logique au XXe siècle, la logique linéaire et, plus récemment, la géométrie de linteraction occupent une place tout à fait singulière, notamment en ce qui concerne le postulat de la primauté de la pensée mathématique sur la pensée logique. En contraposition explicite aux constructions logiques traditionnelles (des logiques non monotones aux logiques epistémiques), la géométrie de linteraction de Jean-Yves Girard entreprend de refonder la logique en la formalisant dans le cadre de la géométrie contemporaine, à laide doutils mathématiques tels les algèbres de von Neumann ou la géométrie non commutative dAlain Connes, qui deviennent les fondements théoriques de la logique même, en induisant ainsi un véritabletournant géométrique dans la discipline [2]. En dautres termes, la logique n'est plus posée comme constituante des mathématiques, mais constituable à partir d'elles, ce qui comporte une remise sur pied de la dialectique mathématiques/logique, les premières servant de socle à la seconde (et non plus l'inverse). Cela entraîne, avant tout, une prise de distance par rapport au paradigme langagier qui a dominé la réflexion sur les fondements de la logique au cours du XXe siècle. La logique nest plus concentrée sur la question de la véridicité des énoncés mais il savère nécessaire daller au-delà de la conception ensembliste de la théorie des modèles qui présuppose lexistence autonome dun modèle à partir de quoi se constitue une théorie selon une dualité du type syntaxe/sémantique.
Nous avançons dans ce projet lhypothèse dune réactivation de la logique musicale au moyen de la géométrie de linteraction et des nouvelles perspectives que cette dernière ouvre dans linformatique musicale. Soulignons tout de suite que lapplication de la géométrie de linteraction à la musique et à linformatique musicale reste conjecturale. Il y a, cependant, dans une telle démarche des points qui nous semblent déjà très prometteurs. Lévolution de la théorie musicale au cours des dernières décennies indique clairement la présence dune composante " algébrique " qui a accompagné progressivement les recherches liées à la modélisation et formalisation des structures musicales, aussi bien dun point de vue théorique que dans les aspects liés à linformatique musicale. Lapplication de la théorie des catégories et des topoi en musique et en informatique musicale, qui représente lune des réussites majeures des théories mathématiques de la musique [3], na cependant pas contribué à ouvrir une véritable réflexion sur la dimension logique en musique. Dans la conception de Jean-Yves Girard, qui relègue lapproche de la logique par la théorie des catégories au " deuxième sous-sol " (ou niveau 2 de lédifice conceptuel), la logique a affaire à la forme (à la " morphologie ") des raisonnements-démonstrations-déductions-développements vus comme jeux (dont les enjeux véritables ne sont pas logiquement pris en compte). Le but essentiel quil appelle " interaction " - est que la dualité à laquelle la logique a à faire (celle, par exemple des preuves et des formules) nest plus conçue comme formalisation dune réalité autonome préexistante et indifférente à cette formalisation mais comme autoengendrée par polarisation [4]. Il découle de cette nouvelle approche de la logique que la preuve sera conçue comme espace de travail immanent et non plus comme ajustement à une véridicité exogène.
Nous pensons que la musique pourrait offrir une excellente illustration des postulats sousjacents à lentreprise de Jean-Yves Girard. Par exemple, la question de la véracité ou de la véridicité dune réalisation sonore par rapport à une partition nest quune question secondaire, la vraie question étant celle de la " cohérence " du processus comme tel, de la procédure comme telle, de sa cohérence musicale, cest-à-dire de son intérêt musical. Laspect procédural de la géométrie de linteraction, une fois transféré dans le domaine musical, pourrait ainsi emmener à concevoir le sens en musique comme une dynamique, à la différence des approches traditionnelles dans lesquelles la dimension sémantique de la musique serait indissociable du paradigme langagier sous-jacent, ce qui donne lieu à des discussions souvent stériles sur le rapport entre musique et langage. On serait ainsi face à un véritable " tournant géométrique " dans la logique musicale [5].
Dautre part, on pourrait également envisager une nouvelle approche pour la description de la musique basée sur les relations entre le niveau symbolique (logique) et le niveau du signal, approche qui soit capable de grouper des représentations bas-niveau du son dans des représentations avec des différents degrés dabstraction en sorte de rendre possible la description et la manipulation de linformation musicale à de niveaux conceptuels variables afin de créer un continuum dans le domaine des représentations. Alors quon sait que la théorie élémentaire des types peut être pertinent pour donner des descriptions de la structure musicale, dautres théories des types nont jusquà présent pas trouvé dapplications en musique. Dans ce sens lextension proposée par Jean-Yves Girard qui utilise le concept de types polymorphes (polymorphic types) et qui conduit à la logique linéaire et à la géométrie de lintéraction . On pourrait ainsi arriver à transformer et manipuler le son à laide de linformatique à des niveaux symboliques différents, en appliquant du raisonnement haut niveau tout en gardant, au même temps, une relation étroite avec le signal sonore.
Il est clair quétudier lapplicabilité de la théorie de linteraction en musique et en informatique musicale demande des compétences que lon aurait du mal à retrouver au sein dune seule équipe. Pour cette raison, nous proposons la création dun groupe de travail pluridisciplinaire qui permettrait dun côté de consolider une collaboration en cours entre lIrcam et le département de philosophie de lENS [6] tout en ouvrant un nouveau dialogue avec les départements dinformatiques et des mathématiques. Le tournant géométrique de la logique représenté par la géométrie de l'interaction de Jean-Yves Girard touche, en effet, à des questions enjeux proprement philosophiques. Parmi les aspects philosophiques qui semblent ouvrir des questions intéressantes pour la musique et linformatique musicale on peut souligner le problème de la représentation symbolique, les notions dimplicite ou dexplicite et, surtout, la question de la diagrammatique [7]. Dautre part, la géométrie de linteraction et son interprétation dans les algèbres dopérateurs, conduit à des relations nouvelles entre logique et physique quantique, dont on peut commencer à postuler les liens profonds non seulement avec linformatique [8] mais, nouvelle hypothèse et autre aspect que ce projet se propose détudier, avec la musique [9].
En ce qui concerne le financement demandé pour les deux ans du projet, les institutions participantes financent de leur côté les équipements informatiques. Nous demandons donc essentiellement du fonctionnement pour financer des séminaires et colloques internationaux, des déplacements de chercheurs et une aide à la publication.
[1] Cf. G. Assayag et al., Mathematics and Music. A Diderot Mathematical Forum, Springer, 2002.
[2] Cf. J.-Y. Girard, Le Point Aveugle (en deux volumes), Hermann, 2006 et 2007. Pour une présentation didactique de ces questions mathématiques, en vue dune première tentative détablir des liens avec la musique, nous renvoyons à la présentation de Yves André dans le cadre de " lécole mathématique pour musiciens et dautres non-mathématiciens " organisée par lIrcam et lENS (http://recherche.ircam.fr/equipes/repmus/mamux/EcoleYA.html).
[3] Voir, par exemple, louvrage de référence The Topos of Music (Birkhäuser, 2003) du mathématicien et informaticien suisse Guerino Mazzola.
[4] Au sens défini par Jean Yves Girard dans le chapitre 12 du deuxième volume du Point aveugle.
[5] Cf. F. Nicolas, " Dun tournant géométrique dans la logique musicale ", dans Logique & Interaction : Géométrie de la cognition, Actes du colloque et école thématique du CNRS "Logique, Sciences, Philosophie" à Cerisy, Hermann, sous presse.
[6] Plus précisément le Laboratoire disciplinaire " Pensée des sciences " dirigé par Charles Alunni, avec qui lIrcam organise depuis trois ans le séminaire " Mathématiques, Musique et Philosophie " (sous la direction de Charles Alunni, François Nicolas et Moreno Andreatta).
[7] Cf., par exemple, Charles Alunni, Quest-ce que sorienter diagrammatiquement dans la pensée ? Publication online [http://cdfinfo.in2p3.fr/APC_CS/Labo/Calendar/semin-eng] du Collège de France, Avril 2005 (dans le cadre des conférences du Centre dAstroparticules & Cosmologie).
[8] Voir T. Paul & G. Longo, " Le monde et le calcul : réflexions sur calculabilité, mathématiques et physique ", dans Logique & Interaction : Géométrie de la cognition, Actes du colloque et école thématique du CNRS "Logique, Sciences, Philosophie" à Cerisy, Hermann, sous presse.
[9] Cf. T. Paul, " Des sons et des quanta ", dans Mathématiques, Musique et Philosophie, numéro spécial de la Revue de Synthèse (sous la direction de C. Alunni, M. Andreatta et F. Nicolas, à paraître automne 2009).
Liste des journées d'étude organisées dans le cadre des activités du groupe de travail " Géométrie de linteraction et musique " :
Coordinateur | Nom du laboratoire | courriel | code postal et ville |
Moreno ANDREATTA | Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique et CNRS (UMR STMS) | Moreno.Andreatta@ircam.fr | 75004 Paris |
Equipes participantes | Nom du laboratoire | courriel | code postal et ville |
Gérard ASSAYAG | Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique et CNRS (UMR STMS) | Gerard.Assayag@ircam.fr | 75004 Paris |
Carlos AGON | Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique et CNRS (UMR STMS) | Carlos.Agon@ircam.fr | 75004 Paris |
Giuseppe LONGO
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Laboratoire d'Informatique de l'ENS (LIENS)
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Giuseppe.Longo@ens.fr |
75230 Paris Cedex 5
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Thierry PAUL | Département de mathématiques et applications de lENS | Thierry.Paul@ens.fr | 75230 Paris Cedex 5 |
Charles ALUNNI | Laboratoire Pensée des sciences | alunni@ens.fr | 75230 Paris Cedex 5 |
François NICOLAS | Laboratoire Pensée des sciences et Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique |
fnicolas@ens.fr, Francois.Nicolas@ircam.fr |
75230 Paris Cedex 5 75004 Paris |