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HISTOIRE DES ARCHIVES SONORES DU MUSEE DE L'HOMME
Entre 1932, date de la création par André Schaeffner d'une phonothèque au musée d'ethnographie du Trocadéro, et aujourd'hui, sont entrés dans les archives sonores du Musée de l'Homme six cents cylindres, deux cents disques en gravure directe, deux mille trois cents disques 78 tours, deux mille cents disques microsillons, quatre mille cinq cents bandes magnétiques et deux cents disques compacts. Cette brève énumération aurait plus l'ampleur de l'inventaire de Prévert si l'on précisait le nom des pays (près de trois cents), des régions, des ethnies ou des groupes sociaux (quelques trois cents) dont la musique est conservée ici.
Retraçons d'abord les grandes étapes de la constitution de ce véritable patrimoine sonore de l'humanité. Elles se confondent avec la naissance et la maturation du musée qui l'abrite, et ont permis un développement décisif de la discipline ethnomusicologique.
A la suite de l'Exposition de 1878 au Palais du Trocadéro est fondé le Musée d'ethnographie du Trocadéro. En 1928, ce musée est rattaché à la chaire d'anthropologie du Muséum national d'histoire naturelle. Georges-Henri Rivière ("G.H.R." comme il souhaitait être appelé par tous ses collègues et amis, et qui sa vie durant aura entre autres passions celle de la création muséographique) est chargé de la rénovation de cet établissement.
Un an plus tard, André Schaeffner, à l'époque secrétaire musical de l'Orchestre symphonique de Paris, qui a déjà publié une étude approfondie sur la facture du clavecin, un livre et plusieurs articles sur le jazz et qui prépare un ouvrage sur Stravinsky, crée un "département d'organologie" et une salle comparative d'instruments de musique.
En 1932, A. Schaeffner, qui rentre de son premier "terrain" en Afrique (mission Dakar-Djibouti, conduite par Marcel Griaule) crée une phonothèque. La première collection, sur laquelle nous reviendrons plus loin, est constituée des 174 disques enregistrés lors de l'Exposition coloniale de Vincennes en 1931. A la fin de cette première année d'existence, la phonothèque compte six collections faites de cinq dons et d'un seul achat, important (86 disques). Outre les enregistrements de l'Exposition coloniale, on trouve dans ces 281 disques, gravures des firmes Victor, Zonophone, His Master's Voice, Brunswick, Columbia, Parlophon, Odéon, Polydor, Pathé ou Gramofono, des musiques des indiens d'Amérique, de Tahiti et de jazz, de Chine, Japon, Tibet, Cambodge, Inde, Perse, Arabie et Syrie, du Caucase, Roumanie, Allemagne, Suisse et France. Les samedi après-midi, dans le cadre des activités du département, rebaptisé "d'ethnologie musicale", Schaeffner organise des auditions publiques de musique enregistrée.
Les deux années suivantes voient l'entrée au département de Curt Sachs puis de Claudie Marcel-Dubois, laquelle prépare un travail sur les instruments de musique de l'Inde ancienne et à qui est confiée la phonothèque. A. Schaeffner enregistre à Paris 14 cylindres de chants accompagnés à la vièle exécutés par un musicien d'Arabie du Nord. Par ailleurs, dès 1933, la Société des amis du musée du Trocadéro éditent deux disques 25cm/78 tours de musique de Tahiti et des Tuamotu à partir d'enregistrements sur cylindre in situ.
De 1935 à 1937, le Palais de Chaillot est construit à la place du Palais du Trocadéro. Dans ce musée largement rénové, le département est agrandi et réorganisé. A l'occasion de l'Exposition universelle de 1937, l'établissement prend le nom de Musée de l'Homme.
Durant cette période, les collections d'instruments de musique et celles de la phonothèque s'accroissent grâce, d'une part, aux dépôts du musée de Saint Germain en Laye et du Conservatoire national de musique, et d'autre part, à plusieurs missions ethnographiques (Marcel Griaule et A. Schaeffner, "Sahara-Soudan", 1935; Thérèse Rivière et Germaine Tillon, "Algérie, Aurès", 1936). En 1936, A. Schaeffner publie Origine des instruments de musique. Introduction ethnologique à l'histoire de la musique instrumentale, ouvrage capital tant pour l'ethnologie et la musicologie que pour l'organologie. Deux ans plus tard, Curt Sachs publie Les instruments de musique de Madagascar, ouvrage fondé sur l'étude des collections du musée.
A la veille de la guerre, fin 1939, la phonothèque compte plus de six cents disques, pour moitié provenant de dons (le plus souvent faits par des chercheurs comme Georges-Henri Rivière, Alfred Métraux, ou Constantin Braïloiu), achetés pour une petite moitié, le reste venant d'échanges avec diverses institutions.
En 1941, Gilbert Rouget entre au département comme assistant de A. Schaeffner. Durant cette période, années 1939 - 45, seuls vingt huit disques entrent dans les collections, et la Société d'anthropologie de Paris fait, en 1943, le dépôt des 388 cylindres enregistrés par le Dr. Azoulay lors de l'Exposition universelle de 1900.
En 1946 a lieu la première grande mission ethnomusicologique en Afrique équatoriale, la "mission Ogooué-Congo". André Didier, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, spécialiste de l'enregistrement du son et de l'image, et G. Rouget, auxquels se joint l'explorateur Dominique Gaisseau pour la descente du fleuve Ogooué (Gabon), enregistrent quelque six cents disques de gravure directe de musique bantou et pygmée. La même année paraît la première publication des Editions du Musée de l'Homme : une collection de trente disques 25 cm 78 tours-minute de musique de Madagascar qui avait été enregistrée sur le terrain en 1938 par Henry Clérisse.
En 1948, Constantin Braïloiu, qui avait fondé à Genève, en 1944, les Archives internationales de musique populaires (AIMP), entre comme attaché au département où, entre autres activités, il anime un séminaire régulier.
Dans la période allant de 1948 à 1955, le département développe ses activités dans plusieurs domaines.
Les publications se multiplient. En 1948, une collection de 34 disques de la mission Ogooué-Congo dont nous avons parlé plus haut. En 1949, un album de quatre disques Musique populaire roumaine (enregistrements de C. Brailoiu et Tiberiu Alexandru 1935-40). En 1951, une collection de 14 disques de musique du Sahara (mission Henri Lhote 1948). En 1953, un album de 5 disques, Musique primitive indienne (enregistrements réalisés lors de l'expédition Orénoque-Amazone conduite par P. Gaisseau, 1948-50). En 1954, une collection de 16 disques de musique du Soudan, Guinée française, Gold Coast, Niger et Dahomey (enregistrements de G. Dieterlen, V. Paque, P. Gaisseau, J. Rouch, R. Rosfelder et G. Rouget). Cette même année sortent les premiers disques microsillons de la collection Musée de l'Homme. Citons Musique d'Afrique occidentale, enregistrements provenant de la mission G. Rouget 1952 - cf. ci-dessous - qui obtient deux Grands Prix (académie Charles Cros, académie du disque français), cinq autres disques de musique d'Afrique, et deux d'Amérique, dont l'un, Amazone, Indiens Iawa et Bora, de B. Flornoy obtient le Grand Prix de l'académie Charles Cros. De plus, le département fournit une aide technique à l'édition de la Collection universelle de musique populaire enregistrée, publiée sous la direction de C. Braïloiu par les AIMP et l'Unesco (série de 40 disques qui paraîtront de 1951 à 1958, année de la disparition de Braïloiu).
Parallèlement ont lieu plusieurs missions, parmi lesquelles celle de G. Rouget en 1952, qui en rapporte 129 bandes magnétiques, de grand format, enregistrées à 76 cm/s, de musique de Côte d'Ivoire, Dahomey, Guinée et Sénégal, ainsi que celle de S. Dreyfus en 1955, à Bahia et au Brésil, chez les indiens du Xingu et du Parana.
Par ailleurs, enseignements et publications d'ouvrages se multiplient. En 1950, débutent des travaux pratiques en ethnomusicologie dirigés par G. Rouget dans le cadre du certificat de licence de la Sorbonne. En 1951 paraît l'ouvrage d'A. Schaeffner Les Kissi. Une société noire et ses instruments de musique. En 1954 se tient le premier colloque de Wégimont (3 en tout 54, 58, 60) où sont données des communications majeures pour la discipline. A cette occasion est créé le Cercle international d'études ethnomusicologiques qui organisera deux autres colloques à Wégimont (en 1958 et 1960).
Durant cette période, enfin, la phonothèque s'enrichit de plus de mille disques qui proviennent de dons (près de 50%) et d'échanges (15%) avec diverses institutions de différents pays, de dons privés (près de 20%), d'achats (10%), ou des publications propres du musée.
Signalons qu'en 1953 entrent les premiers disques microsillon et les premières collections de bandes magnétiques (qui sont pour partie des enregistrements de terrain).
Pour la suite, nous ne mentionnerons que quatre événements importants. L'inauguration, en 1959, d'une Salle des Arts et Techniques au Musée de l'Homme dans laquelle A. Schaeffner réalise une grande section sur la musique (celle-ci sera entièrement refaite en 1985 par G. Dournon, et se nommera désormais "le Salon de musique"). La création, en 1961, de cours réguliers en ethnomusicologie dans le cadre du certificat de licence de sociologie de la Sorbonne. Le développement important des activités du département, en 1967-68 sous la direction de G. Rouget, par la création d'un laboratoire d'analyse du son, le recrutement de quatre collaborateurs, et la mise en place d'un programme de collecte et d'archivage des musiques de tradition orale ( RCP 178 "Recherches d'ethnomusicologie et études de littératures orale dans le monde non-français", à laquelle succédera, en 1973, l'actuelle Equipe de recherche 165). Et enfin, la mise en place progressive, à partir de 1975, d'un cursus complet d'ethnomusicologie à l'université de Paris X - Nanterre.
La phonothèque réunit donc aujourd'hui deux fonds distincts par leur statut juridique : les collections du premier font l'objet de contrats avec la phonothèque, celles du second sont soumises au copyright. Il y a d'une part un fonds d'enregistrements non édités, composé de quatre mille cinq cents bandes magnétiques, près de six cents cylindres - qui ont été reportés sur bande magnétique en 1976 - et quelque quatre cents disques de gravure directe (qui sont pour moitié des copies de disques publiés). S'y ajoutent deux collections de disques hors commerce (Exposition coloniale de 1931 et Congrès de musique arabe du Caire de 1932). Il y a, d'autre part, un fonds de documents édités constitué de quatre mille six cents disques (pour moitié disques 78 tours/minute) et d'une trentaine de bandes magnétiques ou cassettes audio. Ce n'est pas le lieu ici de lister en détail le contenu de ces archives sonores, dont la vocation, nous l'avons dit, est planétaire, et nous nous limiterons à une présentation des collections les plus importantes - par leur dimension ou par leur intérêt - du fonds non édité.
Celui-ci est constitué tout d'abord, pour les documents les plus anciens, des trois cent quatre vingt huit cylindres gravés lors de l'exposition universelle de 1900 de Paris. Cette entreprise, très novatrice à l'époque, fut conduite par le Dr. Azoulay qui en rapporte les circonstances dans un article publié dans la Revue d'Anthropologie de Paris (1901, tome II), et dont nous extrayons le passage suivant.
"Lorsque les individus que l'on désire phonographier ne sont pas sous l'autorité d'un chef, il est en général très difficile d'en obtenir des phonogrammes. Il faut alors user de persuasion, de distraction, ou de moyens financiers suivant la nature des individus. - Les personnes très instruites dès que vous leur dites le but de vos recherches, se prêtent volontiers aux expériences. Les sauvages trouvent en général beaucoup de plaisir au phonographe; les demi civilisés sont les plus réfractaires. Partout et toujours, la femme est extrêmement difficile à phonographier"
Cette collection représente plus de vingt heures d'enregistrements, dont une majorité de textes parlés, et parfois syllabisés, recueillis à des fins d'analyse linguistique: contes, légendes, et surtout la traduction dans les différentes langues, par les bons soins de la Société Biblique britannique, du texte L'enfant prodigue de l'Évangile selon saint Luc. Elle contient également un bon nombre de documents musicaux, chants et pièces instrumentales, d'un très grand intérêt et dont la qualité sonore est, parfois, parfaitement satisfaisante. Trente cinq peuples y sont représentés, allant des Ruthènes aux Lettons, des Juifs de Constantinople aux Calabrais, des Tonkinois aux Syriens, des Cinghalais aux Persans ou encore des Berbères aux Zanzibarites.
Les autres collections d'enregistrements sur cylindres sont les suivantes: Amérique du sud, 1903, 58 cylindres (mission Créqui-Montfort et Sénéchal de la Grange); Arabie du nord, 1933, 14 cylindres (enregistrés par A. Schaeffner, à Paris); Afrique occidentale, Cameroun, Soudan, Ethiopie, 1931-33, 30 cylindres (mission M. Griaule Dakar-Djibouti); Soudan, 1935, 19 cylindres (mission M. Griaule Sahara-Cameroun); Algérie, Aurès, 1936, 49 cylindres (mission Th. Rivière et G. Tillon).
Les enregistrements non publiés, gravés sur disque souple, comprennent notamment les collections suivantes: Indonésie, Thaïlande, Malaisie, 1932, environ 3 heures (mission J. Cuisinier); Tunisie, 1938, environ 1 heure 30 (mission G. Boris); Madagascar, 1938 (mission H. Clérisse); Congo et Gabon, 1946, 25 heures (mission Ogooué - Congo); Algérie, Hoggar, 1948, 30 heures (mission Lhote).
Lors de l'exposition coloniale de 1931 à Paris, le colonel Delayen accepta que le camp de Saint Maure, où étaient basés les régiments et qu'il dirigeait, fut transformé en véritable terrain ethnographique. Il en résulta une superbe collection de 174 disques édités hors commerce par les soins de l'Institut de phonétique de Paris qui contiennent des musiques des pays suivants : Inde, Vietnam, Cambodge, Laos, Bali, Nouvelle Calédonie, Djibouti, Mozambique, Madagascar, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie, Guinée, Côte d'Ivoire, Dahomey, Burkina-Faso, Togo, République centrafricaine, Cameroun, Congo.
Le congrès de musique arabe se tint a u Caire en 1932, à l'initiative du baron d'Erlanger, sous la présidence du roi Fouad 1er, en présence de grands musicologues, compositeurs et orientalistes, et réunit les meilleurs musiciens savants et populaires du Proche-Orient et du Maghreb. Après des séances d'enregistrements sous la direction de Béla Bartòk et de Mansûr Awad, la firme Gramophone édita hors commerce plus de cent soixante disques 78 tours.
Le fonds non édité de bandes magnétiques (bande 6,35, cassettes audio, et, depuis peu, cassettes DAT) comprend, quant à lui, près de quatre cent cinquante collections d'enregistrements sur le terrain. En règle générale, ces collections ont fait l'objet d'une copie de qualité réalisée au département, et sont archivées, selon les cas, soit les bandes originales soit les copies, le collecteur-déposant conservant l'autre exemplaire. S'y ajoutent plus de 250 collections de bandes masters qui ont servi à l'édition de disques, et de bandes de montages divers.
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